Palinodie
Lors d’une promenade en la compagnie glaciale et décapante
du cavalier Philidor, je suis tombé sur le cahier d’un jeune romantique, à
l’écriture soignée, parsemé de médiocres dessins, d’une triste naïveté pour
tout vous dire. C’est un de ces rêveurs qui nous font bien rire, le cavalier et
moi. Ils se laissent sans cesse dépasser par leurs sentiments, leur écriture
baveuse s’étale en d’incessants gémissements. J’entends encore le rire
sardonique du cavalier entrecoupant sa lecture.
C’est d’une grande lâcheté mais
qu’importe, je me sens obligé de partager avec vous un fragment.
« J’ai de plus en plus envi de rester entre la musique
et les mots, dans ces rêves imprécis si parfaits, ces instants obscurs et
confus où se répète toute notre romance.
« Nous avons déjà longuement échangé, et fait l’amour plusieurs fois. Tu t’es
mise en colère aussi, tu étais superbe. Tout cela bien sûr tu ne le sais pas,
mais comprends-moi bien, si je t’annonce
notre rupture c’est qu’il y a bien trop longtemps que nous sommes ensemble – tu
m’es devenu insupportable … »
Un invité importun, pluie sang séché, quelques instants.
« … tu n’as pas été là pour me décevoir, j’ai pu effacer méthodiquement
toute trace de ton humanité. Tu étais sublime et cruelle, exécutant pourtant le
moindre de mes phantasmes, répétant la scène au rythme du désir – et si mes doigts
cherchaient désespérément le parfum de ton corps, le plaisir, lui, était bien
réel.
Tu dois saisir maintenant qu’en cette comédie tu ne pourras jamais être à la
hauteur de ce rôle que tu refuses pourtant si bien.
Il nous reste juste un événement à jouer. Je te rassure tout de suite, c’est
très simple, tu n’as rien à dire. Nous sommes face à face, le ciel n’est ni
plus bleu ni plus vaste, le lieu importe peu. Quant à la lumière,
contentons-nous de celle-ci, elle épouse si bien ton visage. Nous avons l’air
un peu triste, comme des amants qui savent qu’il faut s’en tenir là, que l’avenir
ne réserve rien de bon. Tes yeux sont perdus, nerveuse. Je souffle quelques
mots et tu t’en vas, me laissant ce dernier regard.
Il ne m’en faut pas plus tu comprends, mais il me faut au moins cela … Je ne
peux te quitter sans toi. »
Bien des détours pour exprimer cette idée simple. Je n’ai pas le courage de mes sentiments. »
Soupirait ce pion malheureux.